Ce que j’ai appris l’année où je me suis fait renvoyer de mes études en psychologie

La colère facile, ce poison qui tue insidieusement votre affirmation de vous

Avec le confinement, les semaines qui passent et exacerbent les anxiétés, beaucoup de colère explose un peu partout. Notamment la colère dirigée vers ceux qui nous gouvernent et prennent des décisions. Contre les responsables du pays.

Chacun peut relever des contradictions, s’en plaindre ou s’en inquiéter et on voit passer quantités de plaisanteries sarcastiques.

Pourtant, même si c’est monnaie courante, et s’il peut y avoir des incohérences ou des faiblesses dans les décisions qui peuvent être prises, ce réflexe tue lentement et sûrement votre propre affirmation personnelle dans les moments où vous auriez besoin qu’elle soit solide et ancrée.

Quel rapport, me direz-vous, entre le fait de critiquer le président ou ses ministres, et l’affirmation personnelle dont j’ai besoin face à un collègue de travail ou à mes enfants ?

Laissez-moi vous raconter l’épisode qui m’a valu d’être renvoyée de mes études de psychologie alors que j’étais en 3è année et qui a failli mettre fin à ma carrière avant même qu’elle n’ait pu commencer…

Le dossier source du litige

Durant cette 3è année, nous avions un travail de groupe à rendre, avec une date butoir. Et Jean-Pierre, un étudiant réputé pour rendre tous ses dossiers en retard, est venu trouver notre groupe quelques jours avant l’échéance fatidique. Il nous a demandé à pouvoir consulter notre travail sur un ton mi-suppliant mi-séducteur qui nous mené (naïvement ?) à accepter sa requête.

Plusieurs semaines plus tard, l’enseignant nous rend notre travail avec une note assez mitigée, 11 ou 12, et un commentaire peu flatteur.

Nous sommes tous un peu surpris et déçus. Et puis nous apprenons que ce fameux Jean-Pierre a décroché un 18 avec son dossier.

Piquée par la curiosité et la suspicion, et ne comptant pas en rester là, je me dirige vers lui et demande à pouvoir consulter son travail. Et quelle n’est pas ma surprise en découvrant qu’il a purement et simplement copié-collé l’ensemble de notre texte… !

La moutarde me monte au nez, et me voilà rendue de ce pas devant l’enseignant pour lui demander des explications sur notre note. Et il m’explique fermement que notre dossier n’est tout simplement pas bon, je ne me rappelle plus des arguments précisément.

Abasourdie et en colère, je lui annonce alors que le travail de ce fameux Jean-Pierre, qui a entièrement copié notre dossier, a été évalué à 18 et accompagné d’un commentaire élogieux. Comment explique-t-il cela ?

Ahurie, je vois devant moi un enseignant surpris, mais qui ne se démonte pas et entérine notre note sans autre forme de procès. Le sujet est clos, merci, au revoir.

Scandalisée, je ne me démonte pas non plus, et le ton monte. Mes camarades finissent par me tirer en arrière en me conseillant sagement d’en rester là.

Le respect nécessaire des figures d’autorité

J’étais alors étudiante à Psycho Prat’ – une école de psychologie qui ne dépend pas de l’université – au moment où j’ai commencé mes études. Je vous passe d’autres points trop longs à développer ici pour en arriver au fait que, quelques semaines après, j’ai reçu dans mon courrier une convocation en conseil de discipline qui aboutira à une exclusion d’un an, avec obligation de redoublement à mon retour.

Le sujet que je veux aborder ici, c’est que pendant ce conseil de discipline j’ai compris quelque chose d’essentiel qui allait rester gravé dans ma mémoire, et qui m’amène à vous en parler aujourd’hui au sujet du confinement et des griefs que la situation fait remonter.

Alors que ce conseil de discipline était un simulacre de procès et que les propos tenus à mon encontre étaient grotesques, je me suis rendue compte que l’enseignant qui se tenait devant moi s’était bien gardé de donner une version exacte de notre altercation, ce que je me suis empressée de développer devant le directeur qui présidait.

Il a été surpris et s’est tourné brièvement vers son subordonné, mais les effets ont été décevants, le verdict est tombé, implacable : exclusion, puis redoublement.

Cependant, à l’annonce de la « condamnation », le directeur s’est tourné vers moi pour me faire remarquer que quels que soient les griefs que je pouvais avoir contre mon enseignant, il était et restait mon enseignant, et qu’à ce titre je lui devais le respect.

Pourquoi respecter une autorité contestable ?

La leçon était rude mais m’a beaucoup fait réfléchir.

Et elle m’a été bien utile des années plus tard lorsque j’avais devant moi à mon cabinet des adolescents révoltés contre une autorité injuste et cassante.

Car, malgré tout ce que je pourrais vous dire de ce directeur que je n’apprécie toujours pas plus aujourd’hui, il avait raison et il venait là de m’apprendre quelque chose d’essentiel : une personne d’autorité peut se tromper, peut être injuste ou abuser de son pouvoir, mais elle reste une figure d’autorité à accepter et à respecter.

Pour deux raisons simples :

Si l’on refuse d’accepter cette réalité :

  • d’une part elle va utiliser son pouvoir pour avoir gain de cause et ne pas perdre la face, et le perdant ce sera vous, et vous le payerez cher, ce qui n’est pas intéressant sur le plan de votre économie interne (physique, émotionnelle, financière), en gros c’est une attitude masochiste ;
  • d’autre part le fait de se révolter et de refuser cette autorité vous place dans une position de hors-la-loi : vous décidez que la loi ne vous convient pas et que vous ferez la vôtre, ce qui peut être compréhensible sur le moment, mais l’effet secondaire sera que vous ne serez plus vous-même protégé par la loi puisque vous venez de lui ôter tout son pouvoir.

C’est normal de contester la loi, me direz-vous, si elle est injuste.

Peut-être, en effet, mais le problème c’est que tout le monde sera alors légitime à contester la loi selon ses propres critères personnels, et il n’y aura plus de loi qui tienne, et plus de figure d’autorité respectée.

Est-ce que vous percevez la lumière qui a alors traversé mon esprit en colère et qui m’a stoppée net quand j’ai compris ce que ce directeur voulait me faire comprendre ?

Pourquoi être respectueux d’une autorité n’a rien à voir avec le fait d’être soumis ?

A titre personnel, je crois que c’est ce qui se produit aujourd’hui, à l’occasion du confinement et des décisions qui sont prises par le gouvernement. Chacun s’autorise à les contester et à les critiquer, à en pointer les failles, ce qui affaiblit son autorité et sa capacité à nous guider dans cette crise.

Je ne dis pas qu’il faut approuver le gouvernement ni toutes les décisions qui sont prises sans prendre de recul, je ne suis pas militante de son parti, ni d’aucun autre d’ailleurs.

Je ne parle pas ici de politique, mais de positionnement interne et de gestion de certaines de ses émotions toxiques.

Ce que je veux dire c’est qu’à partir du moment où l’on perd le respect d’une figure d’autorité, on se met à dériver tout doucement vers le chaos et la loi du plus fort ou du plus populaire du moment (et rien n’est plus instable ou potentiellement injuste que la loi du plus populaire ou du plus puissant…).

Le bateau perd son capitaine et les mutineries risquent de se succéder les unes après les autres pour prendre le pouvoir ; le nouvel élu étant aussitôt contesté et empêché de diriger, parce que finalement non reconnu en tant que chef et non respecté.

Il ne s’agit pas d’être soumis et d’abandonner son pouvoir aveuglément à l’autre, mais d’accepter un cadre établi, et l’autorité contenue dans ce cadre, en se retenant de l’envie spontanée de la remettre en question quand quelque chose nous dérange.

En quoi critiquer quelqu’un a pour effet de détruire ma propre capacité à m’affirmer personnellement ?

Si je m’autorise à contester Pierre, Paul, ou Jacqueline, sans retenue quand il/elle décide de quelque chose, alors je m’expose à la possibilité d’être moi-même sévèrement critiqué le jour où je prendrai une décision qui ne sera peut-être pas approuvée par la majorité.

Je deviens donc très vulnérable à l’opinion des autres, car si la majorité ne me soutient pas, je risque la désapprobation et les critiques pourraient fuser contre moi cette fois-ci.

Or, ce n’est pas facile de rester debout et fidèle à ses convictions quand tout le monde nous regarde d’un œil désapprobateur. Il suffit pour cela de s’imaginer au supermarché, ou dans le train, avec son enfant qui pique une crise de colère parce qu’on vient de lui dire non.

La pression du groupe est énorme. Y compris quand on est dans le rôle du chef qui doit prendre des décisions pour les personnes se trouvant sous sa responsabilité.

Et il faut être sacrément ancré et solide pour rester connecté à ses valeurs et ses besoins sans fléchir sous la pression.

Non, un chef ne sera probablement pas infaillible, fera peut-être des bourdes monumentales, nous décevra sans doute parfois, ou ne sera pas à la hauteur de nos attentes, mais c’est notre chef, et nous lui devons le respect le plus sincère.

Tout chef reste un être humain, comme vous et moi, avec ses faiblesses, ses erreurs de jugement, ses lâchetés parfois, bref ses imperfections.

Pouvons-nous prétendre être nous-même infaillible et parfaitement droit en toute circonstance ?

Croyez-moi, il m’a fallu beaucoup de temps et de leçons pour être là aujourd’hui à écrire ceci, et ce n’est pas toujours acquis.

Mais c’est cette humilité qui fait que vous pourrez être juste et solide face à vos enfants quand ils refuseront d’obéir, et que vous consoliderez votre famille et chaque groupe auquel vous appartenez, y compris le pays.

Voilà pourquoi ce directeur tant détesté avait raison. Même si je ne suis pas d’accord avec les décisions prises et qu’elles me semblent injustes ou trop contraignantes, je peux bien entendu les discuter, mais jamais perdre le respect de cette personne face à moi qui incarne l’autorité.

Finalement, apprendre à respecter chaque figure d’autorité, quelles que soient ses manquements, c’est se garantir d’être soi-même respecté quelles que soient nos imperfections.

Celui qui sait obéir saura ensuite commander.

Confucius